Introduction
Pendant la guerre, engagé dans la Résistance,
Paul Eluard participe au grand mouvement qui entraîne la poésie française,
et le poème Liberté ouvre le recueil Poésie et Vérité
paru en 1942.
Les textes qui forment ce recueil sont tous des poèmes de lutte. Ils
doivent entrer dans la mémoire des combattants et soutenir l'espérance
de la victoire : comme on le faisait pour les armes et les munitions, le
poème Liberté à été, à l'époque, parachuté dans les maquis
Lecture
I - Un texte incantatoire destiné à être lu et transmis
oralement
Parce que ce texte était destiné aux Résistants, Eluard
retrouve la tradition de la poésie orale qui doit frapper les esprits par
sa ligne mélodique.
A. Le souffle des anaphores
-
20 strophes construites sur le même canevas :
- Anaphore de la préposition "sur", répétée 3 fois par
strophe et suivie de compléments circonstanciels de lieu
- Dernier vers de la strophe : "J'écris ton nom"
-> Eluard cherche à ce que son texte soit
facilement mémorisé pour être retransmis oralement d'une part et
d'autre part pour être complété par les lecteurs partisans.
-
La 21ème strophe, elle aussi a un côté oratoire
assez fort grâce à des procédés d'amplification :
- Anaphore du "je" en début de vers v.82-83
- Effet de redondance sur "pour" v.83-84
- La conjonction initiale "et" met en valeur cette strophe
-> Clôture très simple du texte sur le mot
clef qui apparaît comme une évidence absolue d'autant plus qu'il est
mis en valeur par son détachement.
B. Le rythme
Il est étroitement lié à l'anaphore puisqu'il
fonctionne à chaque fois avec le même effet d'insistance. Chaque
quatrain est formé de :
- 3 heptasyllabes
- 1 tétrasyllabe martelé par des mots brefs
à ouverture sur le monde
à toujours relié à une idée fixe, obsédante
C. Les sonorités
-
Quasi-absence des rimes traditionnelles
-
L'effet rime était en début de vers avec l'anaphore
"Sur" -> Certains vers riment parfaitement sauf à la
rime. Ex : v.5-6 et v.45-46.
-
Eluard préfère le phénomène assonances / allitérations
à la rime : c'est beaucoup plus fluide et moins contraignant. Ex :
Strophe 7, v.25-28, allitération en [ch] et en [z] et assonance en
[on] et en [an]. Cela contribue largement à donner au texte un aspect
mélodique en dépit de l'absence de rimes traditionnelles.
II - Des lieux d'écriture à la fois concrets et
imaginaires
La volonté qui est revendiquée, c'est d'écrire le mot
"liberté" sur tous les support possibles dans le monde et de
faire en quelque sorte de cet univers un immense graffiti.
-
De nombreux supports lexicaux -> volonté de
couvrir tous les domaines d'une vie :
- Enfance : "cahiers d'écolier" v. 1, "pupitre"
v. 2, "pages" v. 5
- Pouvoir : "armes des guerriers" v. 10, "couronne des
rois" v. 11
- Nature : "champs" v. 25, "oiseaux" v. 26,
"mer" v. 30
- Espace privé : "lampe" v. 45, "maison" v. 48,
"chambre" v. 50, "chien" v. 53
- Etat d'esprit du poète : "absence sans désir" v. 73,
"solitude nue" v. 74, "espoir sans souvenir" v. 79
-
Evocation fréquente d'un fait et de son contraire
-> Volonté d'englober la totalité de l'univers :
- V. 5-6 : "pages lues"/ "pages blanches"
- V. 22-23 : "soleil moisi"/ "lune vivante"
- V. 17-18 : "nuits"/ "journées"
A. Une progression
Evolution = celle d'une vie d'homme de l'enfance jusqu'à
la réflexion personnelle.
-
Début du texte (v. 1 à 44) : va-et-vient permanent
entre le moi et le monde
-
Fin du texte (à partir du vers 45) -> évocation
d'un univers plus intime :
- V. 45-60 : environnement familier du poète : "lit" v. 51,
"objets familiers" v. 58, "maison" v47
- V. 61 à la fin : état d'esprit du poète : "refuges détruits"
v. 69, "les murs de mon ennui" v. 71
à On peut dire que les supports d'écriture pour la liberté
deviennent au fil du texte de plus en plus intime et c'est sans doute
la marque d'une implication personnelle assez forte de la part
d'Eluard. Sa présence est de plus en plus grande à la fin du texte
à travers les possessifs mon, ma, mes.
B. Mélange des supports concrets et des supports
abstraits
-
Concret : "cahiers" v. 1,
"pupitres" v. 2, "pages" v. 5-6,
"images" v. 9, "sable" v. 3, "vitre" v.
65…
-
Multiplication des supports imaginaires : ce sont ces
supports qui donnent au texte sa valeur symbolique la plus importante
: métaphores
- V. 18 : sérénité des jours de paix qui est évoquée. Associée
au plaisir simple du pain par opposition aux jours de l'occupation
pendant lesquels les Résistants mangeaient leur pain noir
- V. 22 : image corrompue par la barbarie
- V. 27 et 29 : "moulin", "ombre" à idée de la
ronde des heures, la nuit qui revient trop souvent et "bouffée
d'aurore" = soupirs d'espérance à chaques fois renouvelés
à On assiste donc à une multiplication infinie des supports proposés
pour écrire le mot "liberté" et ceci est révélateur de
la tonalité d'ensemble du texte qui se veut dans les heures sombres
de 1942 : un hymne à la vie, à la plénitude de tous les instants
d'une vie d'homme.
III - Un hymne à la vie, à la plénitude de tous les
instants d'une vie d'homme
A une première lecture, sans connaître tout le contexte
du poème on pourrait penser que ce texte se rapproche de la poésie
amoureuse ; en effet on a ici une immense déclaration d'amour à la vie
en dépit de quelques images de découragement qui viennent ternir parfois
l'élan enthousiaste.
A. Quelques images de découragement (liées au
contexte de la guerre)
ex : v. 22, v. 45-46, v. 69-70, v. 73-74.
Toutes ces images sont l'évocation des moments de désespoir de la vie où
le miroir vous coupe en 2, où l'on ne se retrouve plus.
Tous ces moments de découragement peuvent être liés aux moments
difficiles que vivent les maquisards loin de leurs proches et de leur
famille pendant l'occupation.
B. Si tous les instants d'une vie d'homme ne sont pas
cités, les plus importants le sont
-
Réminiscence de l'enfance, par bribes
- "cahiers d'écolier"
- "pupitre"
- Les beaux livres : "pages lues", "images dorées"
- Les promenades : "Sur les nids, sur les genêts"
-
Communion sensuelle avec le monde
- "bouffées d'aurore" v. 29
- "mousse des nuages" v. 33
- "sueurs de l'orage"
- "pluie épaisse et fade"
-
Tendresse, sensualité, fraternité
- Le chien
- "chair accordée" v. 62
- "main qui se tend" v. 64
- "Lèvres attentives"
Un poème à vocation militante, qui retrouve pour cela les
accents d'un texte oratoire.
Une brillante combinaison d'intimité et d'ouverture sur le monde qui fait
toute la plénitude de cet hymne à la vie.
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